Reconnaître l’Existence des Minorités en Afrique

Publié le par lounes ajennad

De nombreux Etats africains estiment que le ‘problème’ des minorités se pose essentiellement en Europe et admettent difficilement que l’Afrique est également concernée par la problématique liée à l’ethnicité. 1 Dans le même temps, nombreuses sont les minorités autochtones, groupes ethniques, communautés, peuples, et minorités ethniques d’Afrique qui souffrent du peu d’attention que certains Etats accordent à leurs droits.

Dans la construction multinationale que représente l’Afrique, il y a beaucoup plus de ‘peuples’, décrits comme minorités ou groupes ethniques, qu’il n’y a d’Etats. Pourtant, dans leurs efforts de construction nationale, les Etats africains indépendants ont déclaré que la diversité culturelle était facteur de division, et l’unité a été posée comme postulat de manière à asseoir l’idée mythique d’un Etat-nation au cœur d’Etats multiethniques. Le défi était alors de fondre des groupes ethniques disparates dans un Etat-nation auquel les individus s’identifieraient. Or la carte coloniale de l’Afrique avait été dessinée sans tenir compte des liens entre les différents groupes ethniques et linguistiques, et des bases de pouvoirs régionaux. 2

Aujourd’hui, protéger les droits des minorités, c’est relever un tout autre défi: celui de favoriser la diversité culturelle; promouvoir la richesse des valeurs appartenant aux groupes ethniques; combattre l’exclusion sociale, économique et politique; et respecter les droits de tous les groupes ethniques en matière de développement, conformément aux droits fondamentaux développés en droit international. Autant de mesures qui mènent à la protection et promotion des droits humains 3 et contribuent à contrer la manipulation des identités ethniques à des fins politiques. Le point de départ pour atteindre ces objectifs est de reconnaître l’existence des minorités.

Définir les minorités en Afrique

Dans cette section, nous aborderons la difficulté souvent perçue d’appliquer le terme ‘minorités’, tel qu’il a été élaboré en droit international, aux groupes ethniques, linguistiques et religieux, marginalisés en Afrique. L’exemple des Etats d’Angola, Mozambique, Afrique du Sud-ouest, (aujourd’hui Namibie), Rhodésie (aujourd’hui Zimbabwe) et d’Afrique du Sud sous l’apartheid, Etats gouvernés par une minorité coloniale, a connoté négativement le terme de ‘minorité’ pour certains Etats africains. Par ailleurs, les critères élaborés au niveau international ne rendent pas forcément compte de la complexité des Etats multiethniques d’Afrique (comme d’autres continents), Etats diversifiés en terme d’ethnicité, de religion, de langues, et comprenant parfois plus de 250 groupes ethniques, comme, par exemple, au Nigeria ou au Cameroun. De la même manière, la distinction entre les minorités et les peuples autochtones n’est pas toujours aisée, 4 et cette difficulté n’épargne pas le continent africain. Toutefois, l’utilisation du terme ‘minorité’ reste pertinente en Afrique, et le droit international relatif aux droits humains offre des principes minima applicables au niveau national. Les critères retenus au niveau international doivent guider notre réflexion, et aider à identifier des applications appropriées à la réalité africaine.

Le concept des minorités en droit international

La Déclaration des Nations Unies (ONU) de 1992 sur les Droits des Personnes Appartenant à des Minorités Nationales ou Ethniques, Religieuses et Linguistiques (UNDM) 5 s’est inspirée de l’Article 27 de la Convention Internationale sur les Droits Civils et Politiques (ICCPR) qui stipule:

‘Dans les Etats où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d’avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d’employer leur propre langue.’
Malgré les références faites aux minorités dans les instruments juridiques internationaux, 6 aucune définition ne fait l’unanimité à ce jour. En effet, il a souvent été avancé que retenir une seule définition risque de limiter sa portée, et que cela n’était pas souhaitable. En 1966, le Rapporteur Spécial pour les Nations Unies, Capotorti, a proposé la définition suivante dans le contexte de l’Article 27 de ICCPR:
Un groupe numériquement inférieur au reste de la population d’un Etat, en position non dominante, dont les membres – ressortissants de l’Etat – possèdent du point de vue ethnique, religieux ou linguistique des caractéristiques qui diffèrent de celles du reste de la population et manifestent même de façon implicite un sentiment de solidarité, à l’effet de préserver leur culture, leurs traditions, leur religion ou leur langue.’ 7

Cette définition a été développée en 1985 par Jules Deschênes, là encore à la demande de la Sous-Commission des Nations Unies:
Un groupe de citoyens d’un Etat, en minorité numérique et en position non dominante dans cet Etat, dotés de caractéristiques ethniques, religieuses ou linguistiques différentes de celles de la majorité de la population, solidaires les uns des autres, animés, fût-ce implicitement, d’une volonté collective de survie et visant à l’égalité en fait et en droit avec la majorité.’ 8

Bien que ces deux définitions contribuent à la compréhension du concept de minorités, elles ne sont pas entièrement satisfaisantes. Le critère de la minorité numérique, notamment, soulève des difficultés dans des cas où il n’y a pas de claire minorité ou majorité numérique. Par ailleurs, un groupe ethnique distinct peut constituer une majorité numérique et être dans une position non dominante, et partant, prétendre de la même manière à l’application des nombreux principes intéressant les minorités afin que leur droit à la non-discrimination et la protection de leur identité soient garantis. En outre, le critère restrictif de citoyenneté peut être utilisé pour exclure certains groupes des droits attachés aux minorités, et n’a, en fait, pas été accepté comme élément constitutif d’une minorité. A cet égard, le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies (CDH) a statué, dans une observation générale concernant l’Article 27 du ICCPR, qu’un Etat partie ne peut réduire les droits prévus à l’Article 27 à ses seuls citoyens. 9 Par ailleurs, le CDH a estimé que:
L’existence dans un Etat partie donné d’une minorité ethnique, religieuse ou linguistique ne doit être tributaire d’une décision de celui-ci, mais doit être établie à l’aide de critères objectifs.’ 10

La détermination du statut de minorité reposerait donc sur le principe d’auto-identification, un point sur lequel nous reviendrons plus loin. En fait, tout critère de définition doit tendre à ce que les minorités aient le droit d’exister et être traitées sans discrimination, à la préservation de leur identité culturelle, et à leur participation à la vie publique.

Le concept de minorité dans le contexte africain: quelques critères

La composition ethnique des Etats africains est complexe, et la question du statut des minorités, en particulier, s’agissant de la non-domination d’un groupe donné est compliquée par la manipulation des différences ethniques ou religieuses à des fins politiques. En réalité, certains groupes minoritaires en nombre peuvent, au moyen d’alliances avec d’autres groupes, exercer une domination politique. C’est le cas par exemple au Nigeria où des groupes historiquement dominant, comme les Efik ou les Ijaw, sont aujourd’hui politiquement marginalisés. Cependant, les changements dans les destins politiques de ces alliances peuvent modifier la situation d’un groupe ethnique, d’une position dans laquelle il jouit de l’accès au pouvoir à une situation de non domination. On trouve aussi en Afrique des exemples où des groupes important numériquement – les Hutu au Rwanda ou Oromo en Ethiopie – ont été largement exclus du pouvoir. A ceci s’ajoute le fait que de nombreux groupes ethniques en Afrique ont des relations traditionnelles politiques ou sociales avec des peuples voisins qui peuvent être la source de rivalités ou d’alliances selon les circonstances.
Un autre problème est le refus d’accorder la citoyenneté à certains groupes ethniques. En effet, bien que le droit à la nationalité soit bien établi en droit international, 11 la question reste préoccupante en Afrique d’autant que l’octroi de la citoyenneté conditionne la participation à la vie publique ou l’accès à la terre. C’est le cas en République Démocratique du Congo, Kenya,12 Zambie ou Côte d’Ivoire.

S’agissant de la question de savoir qui constituent des minorités en Afrique, conformément aux normes internationales, et de manière à guider les Etats, les éléments suivants peuvent être pris en compte:

1. tout groupe ethnique, religieux ou linguistique à l’intérieur d’un Etat;
2. en position non-dominante dans l’Etat dans lequel il vit;
3. consistant d’individus qui possèdent un sentiment d’appartenance à ce groupe;
4. determiné à préserver et développer leur identité ethnique distincte;
5. discriminé ou marginalisé en raison de leur ethnicité, langue ou religion.

En premier lieu, la reconnaissance des minorités conduira à préserver leurs identités et obtenir leur égalité avec tous les autres groupes à l’intérieur de l’Etat, concernant notamment la participation à la vie politique et au développement. Nombreux sont les groupes ethniques auxquels les éléments mentionnés plus haut pourraient trouver à s’appliquer, bien qu’ils peuvent s’identifier ou ne pas s’identifier à des minorités, par exemple: les Bakilayi et Karimajong en Ouganda; les Ijaw et Ogoni dans l’Etat de Rivers du Nigeria; les Wayeyi, Bakalaka et Bakgaladi au Botswana; les Herero en Angola; les Konkomba au Ghana; les Twa au Burundi; les Bakweri et Bagyeli au Cameroun; les Sengwer, Maasai et Ogiek au Kenya; les Haratin et Noirs africains en Mauritanie; les Afars à Djibouti; et les Khoisan en Afrique du Sud.

Le critère fondamental de l’auto-identification

Le critère fondamental, qui est de plus en plus accepté au niveau international pour la détermination du statut de minorité, est celui de l’auto-identification. Ainsi, ce sont les individus, et donc le groupe lui-même, qui doivent s’auto-identifier à des minorités, qu’ils soient décrits comme ‘nationalités’, ‘communautés’, ‘groupes ethniques’, ‘peuples’ ou ‘nations’ par les Etats. Rappelons que le principe d’auto-identification est également central pour identifier les peuples autochtones, comme en témoignent par exemple l’Article 1(2) de la Convention de l’Organisation Internationale du Travail N°169 Concernant les Peuples Indigènes et Tribaux dans les Pays Indépendants, 13 et la Recommandation Générale VIII du Comité pour l’élimination de la Discrimination Raciale. 14 Si les peuples autochtones, au niveau international, ont souvent souligné qu’il était important de distinguer clairement les autochtones des minorités, et de ce fait, demandent un régime distinct en droit international, les peuples autochtones ou communautés ethniques ont une approche plus flexible dans le contexte africain. 15

Les principes de droit international oeuvrant à protéger et promouvoir les droits des peuples autochtones ont pour but de répondre et mettre fin aux formes particulières d’abus et violations dont ils sont souvent victimes. Soulignons toutefois que les minorités qui ne s’auto-identifient pas en tant que peuples autochtones peuvent avoir des revendications légitimes similaires s’agissant de leur lien à la terre 16 et de leur désir d’autonomie. 17 C’est également le cas en Afrique.

En 2000, la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) a adopté une résolution sur les droits des peuples/communautés indigènes en Afrique 18 visant:
à instituer un groupe de travail composé d’experts sur les droits des communautés indigènes ou ethniques en Afrique’ avec pour mandat d’ ‘examiner le concept de peuples et communautés indigènes en Afrique’ et:
‘...étudier les implications de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ainsi que le bien-être des communautés indigènes notamment en ce qui concerne le droit à l’égalité (Art. 2 et 3), le droit à la dignité (Art. 5), la protection contre la domination (Art. 19), l’auto-détermination (Art. 20) et la promotion du développement culturel et de l’identité (Art. 22).

Cette résolution constitue une avancée décisive et peut considéra-blement renforcer la mise en œuvre des principes internationaux dans la région.

L’approche des droits des minorités adoptée par la CADHP

En 1981, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ne pouvait que refléter les objectifs fondamentaux de souveraineté étatique, intégrité territoriale et inviolabilité des frontières consacrés en 1963 dans la Charte de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), qui concerne principalement les relations entre Etats. En ce sens, on peut affirmer sans risque qu’il n’était pas dans les intentions des rédacteurs de la Charte de 1981 d’assimiler la notion de ‘peuples’ à celle de minorités ou groupes ethniques. En réalité, le concept de ‘peuples’ entendait recouvrir l’Etat-nation africain. Alors que la promotion des droits humains n’avait pas été identifiée comme une préoccupation dans la Charte de l’OUA, l’Acte Constitutif de l’Union Africaine adopté en juin 2000 prévoit parmi ses objectifs la promotion et la protection des droits humains et des peuples conformément à la Charte Africaine. Dans le même esprit, la Commission Africaine a franchi le rubicon et a abandonné l’approche restrictive du concept des droits des peuples reconnus dans la Charte. La Commission n’hésite plus à considérer la notion de ‘peuples’ comme désignant des communautés ethniques distinctes.

Les droits des peuples dans la Charte Africaine

La Charte Africaine prévoit une série de droits collectifs dont les ‘peuples’ peuvent se prévaloir. Bien que la Commission Africaine n’ait pas encore défini la notion de ‘peuples’ contenue dans la Charte Africaine, une brève lecture de la jurisprudence de la Commission montre clairement que la notion de ‘peuples’ n’a pas été interprétée comme couvrant seulement la notion d’Etat-nation. De la même manière, bien que la Charte ne fasse pas expressément référence aux minorités, la Commission s’est inspirée de l’esprit de la Charte. L’approche des droits des minorités est également reflétée dans les Directives générales relatives aux rapports périodiques nationaux qui exigent, s’agissant de l’application de l’Article 19 de la Charte, que les Etats donnent des informations sur ‘le cadre institutionnel et statutaire qui visent à protéger les différentes catégories de la communauté nationale’, et indiquent ‘les précautions prévues pour freiner la tendance de certains peuples à en dominer d’autre, comme le craint l’Article’. 19

En 1993, lors de la considération du rapport étatique du Ghana, la notion de ‘peuples’ de l’Article 19 qui stipule que ‘Tous les peuples sont égaux; ils jouissent de la même dignité et ont les mêmes droits. Rien ne peut justifier la domination d’un peuple par un autre’, a été interprétée par l’Ambassadeur du Ghana comme faisant référence à la domination d’un groupe ethnique par un autre, et non simplement comme la domination d’un Etat sur un autre. 20 De la même manière, la Commission Africaine a considérée, lors de l’examen d’allégations de pratiques discrimin-atoires exercées à l’encontre de certaines parties de la population mauritanienne, que:
Au cœur des abus allégués dans les différentes communications se trouve la question de la domination d’une frange de la population par une autre. La discrimination qui s’ensuit contre les négro-mauritaniens résulterait selon les requérants de la négation du principe fondamental de l’égalité des peuples énoncé dans la Charte Africaine et constituerait une violation de son article 19.’ 21

En 2001, la Commission s’est référée à l’Article 24 de la Charte qui stipule que ‘Tous les peuples ont droit à un environnement satisfaisant et global, propice à leur développement’ comme trouvant à s’appliquer à la communauté Ogoni du Nigeria. A ce jour, la Commission a qualifié les Ogoni dans ses décisions tantôt de d’un ‘peuple’, 22 tantôt de ‘communauté’ et d’une ‘société’. 23

En 1992, un cas portant sur la reconnaissance de l’indépendance du Katanga, une province du Zaïre (aujourd’hui la République Démocratique du Congo), a été soumis à la Commission Africaine par le Congrès du Peuple Katangais. Dans cette affaire, la Commission a adopté une approche dynamique du droit à l’auto-détermination prévu à l’Article 20(1) conjointement avec le droit à l’existence. Bien que la Commission ait considéré qu’il n’y avait pas de preuve de violation d’aucun des droits protégés par la Charte, sa décision reconnaît la population du Katanga comme un peuple, dans le sens d’un groupe au sein de l’Etat zaïrois. La décision a ensuite développé le contenu du droit à l’autonomie que le peuple Katangais pouvait exercer à l’intérieur des frontières territoriales, et proposé les formes suivantes: ‘indépendance, autogouvernement, gouvernement local, fédéralisme, confédéralisme, unitarisme ou toute autre forme de relations conformes aux aspirations du peuple...’. 24

La Commission a également souligné:
En l’absence de preuve tangible à l’appui des violations des droits de l’homme à tel point qu’il faille mettre en cause l’intégrité territoriale du Zaïre et en l’absence de toute preuve attestant le refus au peuple Katangais du droit de participer à la direction des affaires publiques conformément à l’article 13(1) de la Charte Africaine, la Commission maintient que le Katanga est tenu d’user d’une forme d’autodétermination qui soit compatible avec la souveraineté et l’intégrité territoriale du Zaïre.’
De manière tout aussi significative, les Directives relatives à l’application de l’Article 20 exigent que l’Etat prenne des mesures pour que:
Toutes les communautés [aient] le droit de participer librement et pleinement aux activités politiques et économique de leurs pays.’ 25
Le principe de non-discrimination: un moyen de garantir les droits religieux, linguistiques et ethniques

L’Article 2 de la Charte stipule que:
Toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus et garantis dans la présente Charte sans distinction aucune, notamment de race, d’ethnie, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.

La Commission Africaine a appliqué le droit à la non-discrimination, conjointement avec le droit à une égalité de traitement devant la loi, de manière à protéger les droits linguistiques et religieux. La Commission s’est référée à la Déclaration sur les minorités des Nations Unies lorsqu’elle a considéré que:

‘La langue fait partie intégrante de la structure de la culture; elle en constitue en fait le support et le moyen d’expression par excellence. Son utilisation enrichit l’individu et lui permet de prendre une part active dans sa communauté et dans les activités de celle-ci. Priver un [individu] de cette participation équivaut à le priver de son identité.’ 26

La Commission a également considéré la violation du droit à la religion en relation avec le droit à la non-discrimination. 27 Par ailleurs, elle a adopté une approche dynamique à l’endroit des minorités s’agissant de l’application de l’Article 17(2) sur le droit de prendre librement part à la vie culturelle de la communauté. Les Directives exigent que les Etats donnent des informations sur
les mesures et programmes destinés à promouvoir une prise de conscience de l’héritage culturel des groupes ethniques nationaux, des minorités, et des secteurs autochtones de la population’. 28
S’agissant du droit à l’éducation, les Directives attirent l’attention des Etats sur leur obligation d’informer sur
la promotion de la compréhension, de la tolérance et de l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux, ethniques ou religieux’
et sur les mesures prises pour des groupes spécifiques, notamment
les enfants appartenant à des minorités linguistiques, raciales, religieuses ou autres, ainsi que les enfants appartenant à des secteurs autochtones de la population, le cas échéant’. 29

La protection des droits des minorités en Afrique: prévenir les conflits et favoriser le développement

La préoccupation majeure des Etats africains a été que la reconnaissance d’identités distinctes aurait pour effet de menacer l’unité nationale et, partant, de contrecarrer l’objectif de construction de la nation. Cependant, il est largement admis qu’il y a un lien direct entre les conflits et la violation des droits des minorités. Cela a été souligné par l’Assemblée des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Organisation de l’Unité Africaine lors de l’adoption en 1994 de la Déclaration sur le Code de Conduite dans les Relations Interafricaines qui stipule:
la paix, la justice, la stabilité et la démocratie appelle la protection de l’identité ethnique, culturelle, linguistique et religieuse de tous nos peuples, y compris les minorités nationales, et la création de conditions à même de promouvoir cette identité’. 30

Plus récemment, le Secrétaire Générale de l’OUA a noté en 2000 que:
‘...l’absence d’une culture de tolérance contribue également à la création de division entre les différents groupes ethniques et mène à des conflits internes’. 31
Favoriser la diversité ethnique est un défi que les Etats africains sont peu disposés à affronter mais ne peuvent se permettre d’éluder.

La reconnaissance comme moyen de réaliser la diversité culturelle

Dans de nombreuses parties d’Afrique, certains groupes ethniques se sentent marginalisés, parce qu’ils sont victimes de politiques d’assimilation. Les tentatives des Etats de les fondre dans d’autres groupes ou dans des cultures dominantes a non seulement pour effet que ces groupes ethniques ont le sentiment d’être désavantagés par l’absence de reconnaissance de leur identité, mais aussi qu’ils sont de facto écartés du pouvoir politique et de l’administration des affaires publiques. Ils risquent dès lors d’assister à l’extermination de leur culture, voire de leur propre existence. La situation des Sengwer au Kenya 32 et des Wayeyi au Botswana 33 illustre la lutte pour la reconnaissance en tant que groupe distinct à l’intérieur de l’Etat comme une condition sine qua non d’assurer leur participation en toute égalité dans les prises de décisions qui peuvent affecter leur communauté. 34 Ne pas accorder de reconnaissance légale appropriée à chaque groupe ethnique génère des tensions, et peut naturellement conduire à leur absorption par d’autres groupes. Il paraît indiscutable qu’une nation ne peut se fonder sur une assimilation forcée ou une subordination ethnique. C’est la survie même de ces communautés qui est menacée lorsque la politique menée est de les mettre sous la souveraineté d’autres groupes ethniques. Sans protection des droits des minorités, l’existence des groupes ethniques ne peut être protégée, leur subordination à d’autres groupes ne peut être empêchée, et la paix et la sécurité ne peuvent être garanties.

Assurer la participation effective aux affaires publiques

Le droit de participer de manière effective dans la vie publique, culturelle, religieuse, sociale et économique 35 est souvent soulevé par des groupes ethniques marginalisés en Afrique. Comme l’a souligné le Professeur Asbjørn Eide, Président du Groupe de Travail sur les Minorités de l’ONU:

‘En participant à tous les aspects de la vie publique du pays, [les minorités] peuvent à la fois maîtriser leur propre destin et contribuer à l’évolution politique de la société dans son ensemble.’ 36
Le fait que l’Etat ne permette pas cette participation effective à tous les groupes ethniques a des conséquences désastreuses dans de nombreuses régions d’Afrique. Or la question du partage du pouvoir se pose avec acuité dans les Etats multiethniques d’Afrique, et les conflits peuvent naître lorsqu’il y a perception par un groupe ethnique d’être désavantagé. Cette perception est souvent manipulée et politisée, et ne peut être déjouée que si les membres des différents groupes ethniques bénéficient d’opportunités justes et égales dans tous les secteurs de la vie publique, et si les minorités sont reconnues. Les modèles de décentralisation (Ouganda) et de fédération (Nigeria et Ethiopie) constituent des voies visant à répondre aux divisions historiques, ethniques et religieuses. Toutefois, bien que respectant le cadre du droit des minorités qui offre des moyens de garantir le droit à l’égalité de traitement avec les autres groupes, à l’autonomie culturelle et à une relative autonomie politique, ces modèles posent encore d’énormes difficultés.

Renforcer les droits des minorités est un défi que les Etats africains doivent avoir pour objectif de relever, car les conflits, les opportunités inégales, et le non-respect du droit des minorités au développement, créent le plus grand obstacle au développement durable du continent entier. 37 Dans son ‘Appel au Peuples d’Afrique’, le document du Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD par le sigle en anglais) adopté en 2001 reconnaît que l’Afrique est un ‘continent dont le cours du développement a été marqué par de faux départs et des échecs’. 38 Sans aucun doute, les minorités en Afrique veulent un nouveau départ. Un premier pas serait de reconnaître leur droit à participer pleinement et effectivement au progrès économique et au développement de leur pays, et de les impliquer dans les prises de décision qui concernent les projets et programmes qui les affectent. 39

Conclusion

Incontestablement, l’incapacité des Etats multiethniques et multiculturels de reconnaître les groupes ethniques marginalisés ouvrent la porte aux tensions et parfois aux violences. Pourtant, reconnaître les minorités est le premier pas vers la prise de conscience que les droits des minorités sont essentiels à la coexistence pacifique et la construction positive des nations en Afrique. Les Etats africains répètent à l’envie que l’ethnicité, souvent exploitée, politisée et manipulée, est à l’origine des conflits en Afrique. 40 Or les Etats africains ne parviendront pas à atteindre l’objectif d’assurer la stabilité et une paix durable en Afrique s’ils n’intègrent pas les droits des minorités dans leur agenda politique, social, culturel, et en matière de développement, avec le but d’assurer la préservation de ce qui fait la particularité du groupe, et l’équilibre des intérêts des différents groupes.

Un dernier point peut être évoqué ici. Malgré l’attention internationale portée aux terribles conflits inter-ethniques qui ont ravagé l’histoire de l’Afrique depuis l’indépendance, les traditions africaines qui privilégient avec succès les médiations entre les groupes ethniques, et facilitent les bonnes relations et un respect mutuel ne doivent pas être ignorées. Si des efforts sont déployés pour assurer la protection des minorités en Afrique conformément au droit international, il serait également judicieux de profiter de certaines de ces traditions afin de construire de véritables sociétés multiculturelles en Afrique

Publié dans societé

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